L’hécatombe de 1914 est elle due au pantalon rouge vif ?

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Soldats français en uniforme 1914

Une légende bien ancrée dans la société présente le pantalon rouge vif (garance) du soldat français de 1914 comme étant une aberration qui a couté la vie à de nombreux soldats. Ceci expliquerait alors en bonne partie l’hécatombe de 1914. Pour rappel, 40% des morts français de la Grande guerre sont en effet décédés pendant les 5 premiers mois du conflit. Cette légende du pantalon est fréquemment remise en avant par les cercles pacifistes, afin de donner plus de corps à la dénonciation de la tactique dite de l’offensive à outrance, considérée à tort comme étant celle de ce conflit. Les soldat français auraient été des cibles faciles avec leur pantalon rouge. L’idée n’est pas ici de vanter un uniforme aux couleurs chatoyantes, mais de rétablir certains faits. Le pauvre pantalon rouge n’a en réalité joué qu’un rôle minime dans la mortalité épouvantable des soldats de 1914.

Ce pantalon rouge était-il si visible ?

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Au milieu d’un pré durant l’été, impossible de distinguer la couleur du pantalon

Il s’agit là de la première question à se poser. On présume qu’un pantalon rouge vif est visible, à partir des images et photos colorisées des soldats de cette époque. En réalité, en situation de combat ce pantalon était bien moins visible que lors d’un défilé militaire. Premièrement, et toutes les photos le montrent, il était recouvert sur sa partie haute par une longue veste bleue. Il s’agissait d’un bleu sombre, donc là non plus nous n’avons pas affaire au summum du camouflage, mais comme on le voit sur cette photo en couleur, l’uniforme ne flashe pas sur un fond de prairie. Les grandes offensives ayant eu lieu à l’été, les herbes étaient hautes. Ces offensives étant généralement en rase campagne, une partie basse du pantalon se retrouvait alors recouvert par la végétation. De simples herbes peuvent facilement arriver au genou, d’autant plus chez ces soldats qui étaient bien plus petits que nous.

Soldats en situation de combat, couchés, impossible de distinguer leurs couleurs

De plus, en situation de combat l’uniforme change. Il s’agit là d’une donnée essentielle pour tous les maquettistes qui veulent recréer des situations de combats réalistes, les soldats et les véhicules de défilé sont alors à oublier. La guerre de mouvement de 1914 est intense et oblige les soldats à de longues marches, ceux-ci ne peuvent donc pas se laver durant plusieurs semaines. En conséquence leur uniforme se salit, prend la poussière et la boue. Face à l’ennemi l’uniforme aux couleurs vives se ternissait donc de lui même, la faute notamment aux centaines de kilomètres parcourus dans la poussière, à pied, en remorques, en bus ou en train. Par extension, le combat amenait les soldats à se coucher par terre en position défensive ou d’attente, et là aussi le contact avec le sol salissait les vêtements. Nous pouvons également noter qu’il est très difficile de distinguer la couleur d’un pantalon d’un soldat couché par terre, encore plus s’il est dans l’herbe ou dans un fossé ou une tranchée de fortune. Les tranchées n’ont en effet pas été inventées à Verdun, il s’agit d’une tactique défensive vieille comme la guerre. Par conséquent, en situation de combat le pantalon rouge n’était pas aussi visible que ce que laissent entendre les analyses des historiens de comptoir à partir des images de défilés où les uniformes sont impeccables. Un soldat bougeant attirait l’œil, tout comme un groupe de soldats en mouvement, il est donc difficile de quantifier la responsabilité du pantalon rouge dans la visibilité des soldats français.

 

Comment se battait-on en 1914 ?

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Les canons tiraient à l’aveugle, ils visaient une zone et non des ennemis

Là aussi, le cinéma et la propagande pacifiste ont durablement marqué les esprits. 14-18 rime souvent dans la tête des gens avec charge à la baïonnette et combat au corps à corps. En réalité nous étions déjà dans l’ère industrielle de la guerre, et les distances de combat s’étaient allongées. De nombreux soldats étaient donc tués avant d’être clairement distingués par les soldats d’en face. La couleur de leur uniforme ne changeait alors rien à la donne. La généralisation des mitrailleuses lourdes et surtout de l’artillerie, permettait de frapper l’ennemi massivement, à plusieurs centaines de mètres voire à plusieurs kilomètres de portée. À cette distance, même un tireur d’élite n’avait quasiment aucune chance de toucher une cible en mouvement, fut-elle très colorée. Une analyse des types de blessures des soldats prouve bien que ce sont les éclats d’obus qui causaient plus de 70% des blessures, viennent ensuite les balles de mitrailleuses qui permettaient de saturer une zone, et ainsi faucher à l’aveugle. Les fusils individuels arrivent loin derrière, du fait de la probabilité faible de toucher une cible mouvante et distante. La baïonnette quant à elle n’a pas tué grand monde, malgré les films de propagande où on voit les conscrits transpercer des sacs, pas plus que les sabres d’une cavalerie passée de mode. Les combats au corps à corps étaient rares. Lorsqu’un groupe de soldat se retrouvait submergé et en contact direct avec l’ennemi, généralement il se rendait, sans passer par la case « on s’étripe à bout portant ». Ceci explique en partie la quantité impressionnante de prisonniers capturés par chaque camp tout au long du conflit. La mortalité vient donc principalement en 14-18 de dommages de zone, donc d’une technologie qui permet de « nettoyer » une surface de terrain. Cette technologie est mise en œuvre par des « ouvriers de la mort », qui ne voient jamais réellement l’ennemi. Prendre conscience de cette réalité, on tire à l’aveugle sur une zone sans viser un individu en particulier, est essentiel pour appréhender les causes de la mortalité, et ainsi l’impact de la couleur de l’uniforme. L’alternative à cette technologie meurtrière est donc de faire baisser les probabilités d’impact en se dispersant. Les soldats se dispersaient donc « en tirailleur » et se baissaient ou se couchaient. Mais les effets de souffle et les éclats d’obus faisaient tout de même énormément de dégâts, et blessaient de nombreux soldats.

 

Pourquoi tant de morts ?

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Train d’évacuation sanitaire attendant de charger des blessés vers l’arrière

Reste la question de savoir pourquoi 1914 a été tant meurtrière par rapport au reste du conflit. Les belligérants savaient que cette guerre aller couter de nombreuses vies, grâce à l’expérience de la guerre des Boers et des guerres balkaniques qui ont prouvé le potentiel meurtrier de l’arsenal moderne. L’objectif était donc d’en finir vite, pour économiser les vies, d’où la stratégie offensive. Ceci n’explique pas pour autant l’hécatombe. Une des raisons essentielles, est l’impréparation des services sanitaires à accueillir autant de blessés qui aboutit à un véritable désastre sanitaire. L’armée a croulé sous le nombre des blessés, et n’a pas pu les prendre en charge rapidement, d’où de très nombreuses infections mortelles. Il y a également eu un décalage idéologique. L’état major avait sous estimé le taux de blessures « sales », par éclat d’obus. Le service sanitaire français était donc organisé pour traiter des blessures « propres », c’est-à-dire par balles, qui pouvaient permettre un temps d’attente avant opération plus long. Au bout de deux semaines de conflit l’armée était déjà en rupture de stock de bandages et de pansements. Les trains et autres véhicules devant amener les blessés vers les hôpitaux de l’arrière étaient bondés et en nombre insuffisant. La majorité des morts aurait donc pu être évitée. Ces soldats ont en effet succombé d’infections et de gangrène en attendant d’être transférés vers l’arrière, et non des tirs de l’ennemi. Ce phénomène était déjà très caractéristique des guerres napoléoniennes, où la majorité des soldats mourraient après la bataille, et non pendant les combats. L’absence de casque a également couté de nombreuses vies, puisque les éclats d’obus au niveau de la tête étaient généralement fatals. Il n’équipera massivement les troupes qu’à partir de 1915. Le casque français était toutefois inférieur en terme de protection que le casque allemand qui englobe toute la tête. L’hécatombe de 1914 s’explique donc principalement par une impréparation des services sanitaires de l’armée à la guerre contemporaine. Ceux-ci ont su rapidement se réformer pour devenir très efficaces ensuite. Ceci permet de comprendre pourquoi 1914 a surtout beaucoup tué, alors que le reste de la guerre a surtout beaucoup blessé.

S’il est évident qu’il est préférable d’avoir une tenue camouflée qu’un accoutrement de carnaval, nous pouvons donc légitimement penser que la mortalité importante de 1914 tient davantage à l’accroissement de la létalité du feu à cause de la capacité destructrice des armes modernes, au fait d’être à découvert et sans casque, ainsi qu’aux carences lourdes des services de santé. De leur coté les Allemands avaient un uniforme vert-gris terne. Idem pour les Belges et les Britanniques qui étaient sur des couleurs pâles et ternes. Sur le front de l’ouest ils ont pourtant tous eu énormément de morts, dans des proportions équivalentes aux Français. Ceci tendrait bien à prouver qu’au temps de la guerre industrielle la couleur de l’habit ne fait pas le mort.

 

6 commentaires sur “L’hécatombe de 1914 est elle due au pantalon rouge vif ?

  1. Ouf ! Enfin un article plein de bon sens sur ce sujet avec lequel les plus célèbres se sont ridiculisés. Max Gallo avec ses « pantalons rouges dans les avoines » (« 1914 ») montre qu’il connaît mieux le « copier-coller » que l’uniforme du piou-piou et l’agriculture céréalière. J’ai refermé définitivement « 1914 Le destin du monde » et classé définitivement son auteur dans la catégorie des imposteurs.

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  2. Merci de rétablir la vérité…Et que penser des généraux anglais interdisant à leurs troupes de monter à l’assaut en courant, et de se mettre à plat ventre pour se protéger des balles de mitrailleuses….J’ai une pensée aussi pour les  »Marsouins » morts à Rossignol, en Belgique en aout 1914…fauchés en tirs croisés des mitrailleuses allemandes…

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    1. Oui, beaucoup de choses se croisent lors de ce conflit pour créer des contre vérités.
      La tradition anglaise a créé ainsi des aberrations en voulant perpétuer des rites obsolètes, comme ces charges au pas que vous citez lors de la désastreuse bataille de la Somme en 1916, suite de la brigade légère se faisant elle aussi massacrer au pas par les Russes lors de la guerre de Crimée.
      On peut penser également aux chasseurs alpins subissant de lourdes pertes pour la conquête et la défense des crêtes des Vosges dans une guerre des tranchées en altitude.
      En règle général il était suicidaire d’attaquer à découvert une position défensive bien équipée en mitrailleuses.

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