La perte de la BEF aurait-elle poussé l’Angleterre à demander la paix en juin 1940 ?

Suite à l’article précédent sur l’opération Dynamo, voici la problématique principale qui est apparue dans les discussions en commentaires sur les groupes Facebook où cet article à été partagé.

Rappels du contexte

Hitler à Paris après la défaite française

La France a été vaincue et à demandé l’Armistice fin juin 1940. Le corps expéditionnaire britannique (BEF) a pu rembarquer 200.000 hommes à Dunkerque fin mai-début juin (opération Dynamo) et 150.000 hommes dans d’autres ports français en juin (opération Ariel). Les Britanniques se fournissent massivement aux États-Unis en matériel militaire depuis novembre 1939 (loi cash and carry). L’Angleterre se retrouve seule face à l’Allemagne qui a réussit à envahir en quelques semaines plusieurs pays (Danemark, Norvège, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, France) après avoir occupé la moitié de la Pologne (1939), et annexé sans combattre la Tchécoslovaquie et l’Autriche (1938).

L’Allemagne n’a-pas les moyens pour débarquer en Angleterre.

Il faut une flotte pour faire traverser la Manche à une armée, et la flotte de débarquement allemande avait été en bonne partie détruite par les Anglais en avril lors du débarquement allemand en Norvège. De plus traverser ne suffit pas. Il faut maintenir suffisamment longtemps la maitrise de la Manche pour ravitailler et renforcer les forces d’assaut grâce à une noria de navires, et ainsi leur permettre d’être offensives et de garder l’initiative et éviter qu’elles se retrouvent isolées et encerclées. Donc sans maitrise totale de l’espace aérien et naval de la Manche l’invasion n’est pas possible.

Un échec de Dynamo n’aurait pas condamné la BEF et l’Angleterre n’aurait dans tous les cas pas perdu toutes ses forces professionnelles terrestres.

Embarquement à Brest lors de l’opération Ariel

Quel que soit le scénario, à savoir la possibilité d’utiliser le port et la durée de la résistance de la poche de Dunkerque, les Britanniques pensaient dans tous les cas pouvoir sauver un quart de leurs forces encerclées à Dunkerque, soit 50.000 hommes sur 200.000. De plus les éléments essentiels de leur armée avaient été évacués par avion avant le début de Dynamo. Enfin l’opération Ariel rapatrie 150.000 anglais et 50.000 alliés avec une partie du matériel (canons, véhicules, et même des chars) et l’approvisionnement. Donc un échec de Dynamo n’aurait entrainé au maximum que la perte de la moitié de la BEF.

La BEF ne représentait qu’une minorité de l’armée de terre britannique

Les armées du Commonwealth, plusieurs millions d’hommes en soutien de la métropole

La BEF représentait la partie motorisée, cuirassée et offensive de l’armée anglaise et était composée de professionnels et de réservistes. En 1939 la conscription a été adoptée au Royaume-Uni pour donner un entrainement militaire aux jeunes adultes (20 à 22 ans), et elle est étendue aux 18-41 ans après la déclaration de guerre. En juin 1940 l’armée de terre britannique compte 1.65 millions d’hommes. Il faut y ajouter les troupes de l’empire, du Commonwealth. Cet ensemble était constitué de territoires et d’états liés à la couronne britannique, et lui apportant leur soutien en cas de conflit. Ces territoires disposaient déjà de troupes pour protéger leur territoire et comme la mère partie ont mobilisé pour augmenter la taille de leur armée. Il est difficile de trouver les chiffres pour juin 1940. Voici les principaux contributeurs en soldats pour la période totale du conflit : Inde (2.5 millions), Canada (1 million), Australie (1 million), Afrique du sud (410.000), Nouvelle Zélande (215.000), colonies africaines (500.000), soit des effectifs très importants. Certaines de ces troupes étaient déjà présentes en Europe au moment de la bataille de France, comme la 1ère division d’infanterie canadienne. La BEF ne représentait donc en juin 1940 qu’une petite partie de l’armée de terre britannique qui grossissait rapidement depuis l’entrée en guerre.

Capturer une partie de la BEF n’aurait pas permis à l’Allemagne de pousser l’Angleterre à négocier la paix en échange de la libération de ces soldats

L’empire britannique est encore une superpuissance qui domine le monde en 1940

Le moral anglais est au plus bas après la défaite de la France, même avec la réussite de Dynamo. Dynamo est une lueur au milieu d’un océan bien sombre et utilisé massivement par la propagande pour occulter le désastre. L’Angleterre se retrouve en effet seule avec son empire contre l’Allemagne qui contrôle toute l’Europe, l’Italie menaçante en Méditerranée et le Japon en Asie. Mais perdre n’est pas dans la mentalité anglo-saxonne. Jamais dans leur histoire récente (soit depuis le traité de Paris actant l’indépendance des États-Unis en 1783) les Anglais n’ont accepté une défaite et se sont assis à la table des négociations en position de défaite. Ceci est totalement inenvisageable pour eux en 1940, alors que leur empire domine le monde et que « Britania rule the world », au moins en apparences. L’Empire britannique représentait en effet en 1939 25% de la population mondiale et 30% des terres émergées.

Soldats anglais capturés en France en 1940

Hitler veut la paix en juin 40, mais l’Angleterre ne peux pas accepter qu’une puissance dominante contrôle toute l’Europe. Il s’agit en effet d’un principe clé de sa géopolitique, l’Europe continentale doit être divisée entre plusieurs puissances qui se neutralisent. Et poursuivre la guerre ne couterait pas plus cher aux Anglais que signer la paix puisque de toutes façons ils doivent réarmer massivement contre la nouvelle hégémonie allemande et pour faire face à l’Italie et au Japon. Au contraire les Allemands n’ont pas d’intérêt à poursuivre le conflit, puisqu’ils devraient alors combattre sur plusieurs fronts tant il est clair que leur alliance avec l’URSS est fragile et de circonstance. Le soutien matériel américain est déjà réel, notamment en essence de qualité mais également en armements et approvisionnements. Donc contrairement à certaines apparences, les Anglais ont le temps avec eux, mais également une certaine expérience de cette situation. Ils avaient ainsi tenu 20 ans en guerre contre la France après la Révolution Française. C’est évident que leur situation en juillet 1940 était compliquée, mais c’est dans la difficulté qu’ils sont souvent les meilleurs et les adversaires les plus coriaces.

L’Angleterre n’avait pas besoin de ses forces terrestres pour défendre son territoire

La Royal Navy, reine des mers

Depuis plusieurs siècle la stratégie anglaise reposait sur la sanctuarisation des îles britanniques : l’objectif était d’empêcher la possibilité d’invasion et de combats sur le territoire national. La guerre devait se faire chez les autres, mais jamais à domicile. En conséquence la Royal Navy a eu les moyens pour devenir la principale marine de guerre au monde et ainsi bloquer l’accès aux iles britanniques. Dans l’entre-deux guerre l’armée de l’air (RAF) a reçu l’attention nécessaire pour pouvoir de la même manière contrôler le ciel national et ainsi empêcher un ennemi de couvrir un débarquement. La RAF est nombreuse, bien équipée, et surtout dotée d’un réseau de radars qui lui permettent d’anticiper les raids ennemis. L’Angleterre est donc à l’abri sur son île sanctuaire.

Même en perdant la BEF à Dunkerque l’Angleterre aurait pu défendre son territoire

Installation d’une barrière antichar

Comme expliqué dans la question précédente la stratégie anglaise est clairement d’empêcher un débarquement ennemi sur son territoire, et cette mission est confiée à la Royale Navy et à la RAF. L’armée de terre a pour mission de combattre à l’étranger, mais pas de défendre les iles britanniques. Si les Allemands avaient réussi à poser le pied en Angleterre, les forces terrestres auraient essayé de les éliminer (parachutistes), de les repousser à la mer (petit débarquement) ou en cas de débarquement trop massif de résister en s’appuyant sur des aménagement défensifs construits durant la Drôle de guerre comme des bunkers et des fossés antichars notamment, le temps que la Navy et la RAF reprennent le contrôle de la mer et des airs.

Casemate anglaise

Dans les deux premiers cas les Allemands auraient été trop faibles pour envahir et occuper l’Angleterre, et ils auraient été vaincu avec ou sans la BEF de Dunkerque. Dans le dernier cas les troupes britanniques trop faiblement équipées en chars et artillerie (perdus en France) n’auraient pu résister que quelques jours au maximum et auraient rapidement capitulé si les Allemands avaient eu les moyens numériques pour une invasion. Donc avec ou sans la BEF une défense terrestre est impossible pour l’armée anglaise en 1940 si elle fait face à une invasion sérieuse avec des panzers capables de percer très rapidement en profondeur. Mais les Allemands n’avaient pas les moyens de rendre ce débarquement massif possible, leur marine de surface ayant été en bonne partie détruite lors de l’invasion de la Norvège et leur aviation ayant été étrillée en France en perdant la moitié des effectifs engagés en France.

Churchill, un partisan résolu de la guerre jusqu’à la victoire

Négocier avec Hitler aurait été pour Churchill un suicide politique

La personnalité de Winston Churchill est également à prendre en compte. Conservateur, issu d’une vieille famille aristocratique, ancien militaire et lord de l’amirauté (ministre de la puissante marine), il connait bien les atouts de son pays et en particulier de sa marine. Il est également opposé depuis 1932 au réarmement de l’Allemagne et aux Nazis qu’il considère plus dangereux que les Fascistes italiens et dont il dénonce l’antisémitisme virulent. Il se retrouve politiquement isolé et moqué, seul contre tous alors que son camp négocie avec Hitler durant les années 30. Churchill ne devient premier ministre que début mai 1940, au moment de l’attaque allemande à l’ouest. Il est choisi par défaut, son camp lui restant hostile à cause de son caractère et de certaines positions passées. Enfin premier ministre, à 66 ans, après avoir occupé de nombreux ministères, Churchill sait que seule la guerre lui permet de rester à ce poste et de s’imposer à la tête de son parti. Négocier avec Hitler aurait donc été pour lui un suicide politique définitif, en allant contre toutes ses positions de fermeté depuis presque 10 ans. Il a été nommé au sommet du pouvoir pour faire la guerre et il n’envisage la paix que par la victoire. Il l’a annoncé régulièrement dès sa prise de pouvoir dans des discours répétés, dont le premier resté fameux « je n’ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur« .

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