La bataille de Poitiers : une fake news médiévale

La bataille de Poitiers est un des évènements les plus connus de l’histoire de France. Et pourtant la version la plus populaire, à savoir Charles Martel repoussant une grande invasion arabe, est au mieux une énorme exagération, au pire totalement fausse. Toutefois l’histoire se cachant derrière cet évènement est centrale dans l’histoire de l’Europe, ses conséquences impactant l’ensemble du continent pour un millénaire.

Les Arabes à l’assaut du monde

L’extension musulmane jusqu’en 750

En quelques décennies, les Arabo-musulmans se sont taillé un empire gigantesque. Parfois par l’épée, le plus souvent par la crainte et la négociation. Leurs deux proies principales, les empires byzantins et perses étaient en effet affaiblis par une longue guerre fratricide, mais également par la peste. Les conditions magnanimes proposées par les Arabes en cas de soumission, mises en parallèle avec leur cruauté en cas de résistance, ont ainsi poussé nombre de dirigeant locaux à changer de maître, pour protéger leur territoire et leur population, mais également leurs situations personnelles qui étaient ainsi garanties. La conquête rapide de l’Espagne wisigothique jusqu’à Narbonne en 720 met ainsi l’Europe nouvellement chrétienne directement face au péril de ces envahisseurs hérétiques. L’extension du jihad au-delà des Pyrénées étant en effet la suite logique de la conquête de la péninsule ibérique.

La fin des Mérovingiens

Le baptême de Clovis, les Francs deviennent chrétiens

Le royaume des Francs était le plus puissant de l’Europe post romaine. Comme les autres peuples appelés autrefois « barbares », les Francs faisaient reposer leur pouvoir sur les structures administratives pré-existantes, et donc romaines. Cette romanisation, ainsi que la taille importante du royaume, ont conduit à un transfert du pouvoir réel, des rois francs successeurs de Clovis (les Mérovingiens) aux maires de palais, sortes de gouverneurs de province. En devenant les principaux dirigeant de l’état, les maires de palais ont également pu modifier les règles de leur nomination, cédant alors leur charge de façon héréditaire et permettant l’apparition de dynasties. La plus puissante de ces dynasties était celle des Pépinides. Au terme d’un travail familial sur plusieurs générations, les Pépinides avaient réussi à soumettre à leur autorité l’ensemble du royaume des Francs et leurs maires de palais respectifs. Il leur manquait toutefois la légitimité, afin que leur pouvoir réel soit reconnu officiellement, et qu’ils puissent ainsi devenir rois.

Eudes d’Aquitaine, vainqueur des Arabes et héros de son temps

Eudes d’Aquitaine

Le duché d’Aquitaine était un territoire représentant à peu près le quart sud-ouest de la France actuelle qui avait été conquis par Clovis sur les Wisigoths. Ce territoire s’était ensuite en partie émancipé de l’autorité franque, gagnant une certaine autonomie. En 721, le duc d’Aquitaine Eudes, écrase les Arabes Omeyyades qui avaient attaqué son territoire et assiégeaient la ville de Toulouse. Cette victoire est la première victoire connue en Europe des armées chrétiennes contre celles musulmanes. Cette bataille a un retentissement énorme et inimaginable dans toute la Chrétienté, Eudes devenant un héros connu et célébré. Il repousse ensuite 2 razzias en 725 et 726, confortant ainsi sa popularité. Eudes était le dernier obstacle sur la route de Charles Martel, étant de facto son alter ego dans le sud-ouest du royaume. Il fallait donc l’éliminer.

Poitiers, épilogue d’une razzia ratée

Guerrier franc mérovingien

L’incursion arabe de 732 conclue par la dénommée bataille de Poitiers (dont on ne sait à peu près rien de précis, ni même le lieu) était une razzia comme celles de 725 et 726, et non une invasion comme en 721. Le but d’une razzia est de capturer du butin en territoire ennemi (richesses et esclaves principalement), et non de de réaliser une conquête. La razzia était extrêmement commune à cette époque, chez de très nombreux peuples. Les plus connus à pratiquer ces raids étaient les Vikings, mais les Francs en étaient également friands. La razzia de 732 prend fin en octobre près de Poitiers, soit après une bataille, soit parce que les pillards ont fait demi-tour face à l’arrivée de l’hiver. Ce qui permet d’affirmer que cette offensive était une razzia est que les Arabes n’occupent pas l’Aquitaine après Poitiers. En effet, Bordeaux avait été capturée et Eudes avait été sévèrement vaincu en défendant le passage de la Dordogne et il était parti de réfugier chez les Francs. Il n’y a toutefois aucune trace de présence arabe persistante dans le sud-ouest après 732. En cas d’invasion les Arabes auraient solidifié leur conquête au sud de la Dordogne, et s’y seraient maintenus. Cela a été le cas la même année dans le sud de la vallée du Rhône et en Provence, les Arabes prenant ce territoire en extension de la Septimanie déjà contrôlée, et n’en étant définitivement chassés que 7 ans plus tard. Au contraire, après Poitiers Eudes reprend immédiatement le contrôle de l’Aquitaine sans avoir eu à combattre.

Charles remplace Eudes

L’empire de charlemagne

Charles Martel avait déjà réussi à prendre l’ascendant militaire sur l’Aquitaine avant la bataille de Toulouse, puis la grignotant ensuite. Il fallait maintenant remplacer Eudes dans les mémoires. Chez les contemporains cela était impossible, tant le héros de Toulouse était intouchable. Cela explique probablement qu’il ait récupéré si facilement ses terres et que ses fils aient pu lui succéder. Mais les années passant, les mémoires oublient. Lorsque le fils de Charles, Pépin le bref devient roi des Francs, une légitimité est nécessaire, et l’épisode de Poitiers commence à être exhumé, voire créé, afin de tisser un lien entre le glorieux Charles Martel et son fils le nouveau roi. Ensuite lorsque Charlemagne devient roi puis empereur, il devient impératif de justifier et légitimer l’usurpation des Pépinides sur le trône franc. L’épisode de Poitiers devient alors célèbre et célébré dans tout l’empire. Le glorieux Charles Martel, grand-père de Charlemagne devenant ainsi un héros, la place de l’empereur étant alors totalement légitimée, par la force, mais également par l’ascendance et par le soutien divin.

Le triomphe des Pépinides

En s’appuyant ainsi sur l’évènement du 8ème siècle probablement le plus connu au sein de la population de toutes conditions en Europe (la bataille de Toulouse), mais en en changeant le lieu et l’acteur, les Pépinides posent l’ultime pierre de leur entreprise dynastique. En plus d’usurper le trône, ils usurpent la victoire et la gloire de Eudes d’Aquitaine. Leur victoire est totale, et elle s’étend sur l’Europe. Ils sont devenu les successeurs de Rome. Et le long règne de Charlemagne puis de son fils, leur ont permis de placer des proches, principalement des parents, à la tête de tous les territoires de leur empire afin de les contrôler en leur nom, amorçant ainsi la féodalité médiévale. Cette noblesse et ses descendants restera ensuite en place dans une grande partie de l’Europe au moins jusqu’à la Révolution française.

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