L’Alsace-Moselle, région française martyre oubliée de la Seconde Guerre Mondiale

La France sort moins meurtrie de la Seconde Guerre Mondiale que d’autres nations qui finissent dévastées par ce conflit cataclysmique. De même 14-18 a été beaucoup plus destructeur et meurtrier pour notre pays. En 1945 les pertes humaines ont en effet été relativement faibles, et les destructions localisées. L’Alsace-Moselle fait figure d’exception, en ayant été frappée durement de tous les maux que d’autres régions françaises ont pu subir isolément et avec une intensité diverse.

L’évacuation de 1939

Plan d’évacuation de Strasbourg

Cette évacuation des populations vivant près des frontières est évidemment le moindre des maux à suivre et elle concerne également d’autres régions. Toutefois l’évacuation forcée et immédiate de plus de 600.000 Alsaciens et Mosellans vers le sud-ouest après la déclaration de guerre a été choquante pour ses populations. Elles ont ainsi du abandonner leur foyer, leurs biens, leurs terres, leurs animaux et partir dans la précipitation en ne pouvant emporter qu’un maigre bagage. Les habitants ne seront autorisés à rentrer chez eux qu’après la défaite française, et dans une région devenue allemande.

L’abandon de la France en 1940

Les Nazis annonçaient faire le ménage en Alsace

Bis repetita. Comme en 1871, la France abandonne à l’Allemagne les territoires et les habitants de l’Alsace-Moselle après l’Armistice de 1940. Les Allemands annexent la région sans que cela ne provoque aucune réaction du nouveau régime de Vichy. Cette annexion a des conséquences importantes : tout d’abord l’épuration de tout élément trop francophile (fonctionnaires, officiers, etc) ou juif avec une expulsion immédiate vers la France « de l’intérieur ». Ensuite l’interdiction de l’usage de la langue française, et la destruction de tout ce qui est lié à la France, comme les livres en français ou les drapeaux. Enfin, toute manifestation pro-française est considérée comme un acte terroriste de résistance et donc sévèrement punie. Ainsi les jeunes de Hochfelden dans le Bas Rhin qui ont célébré le 14 juillet 1941 sont déportés 3 mois en camp de concentration. Cet évènement est le premier acte de résistance de groupe cité par Radio Londres.

La construction d’un camp de concentration

Le camp de concentration du Struthof en 1944

Triste leg de la barbarie du régime nazi, l’Alsace-Moselle est la seule région française a avoir sur son sol un ancien camp de concentration allemand, le camp de Natzweiler-Struthof. Il a d’ailleurs été secondé par le camp de Schirmeck construit à proximité pour accueillir principalement des résistants et des opposants locaux, de la région annexée mais aussi des territoires proches. Cet outil permettait au nouveau pouvoir nazi d’oppresser efficacement la population en ayant la possibilité de déporter facilement pour quelques mois les récalcitrants. Une fois libérés, le triste état physique et mental des anciens prisonniers était un argument très efficace pour dissuader les éventuelles oppositions. En effet, les jeunes déportés cités précédemment sont rentrés chez eux en ayant perdu 30 kilos en moyenne.

La loi et la répression allemande

Parade nazie à Strasbourg

Bien occupés en Russie, les Allemands manquaient de troupes pour surveiller solidement la France, en dehors des principales villes et de lieux stratégiques où leur présence était bien visible. En Alsace-Moselle la présence allemande était beaucoup plus nette, avec une volonté forte de germaniser la région et de traquer les opposants, sur un territoire au final assez petit et densément peuplé. La Gestapo officiait donc avec vigueur et sévérité. Les Alsaciens-Mosellans étant considérés comme deutschvolk (littéralement peuple allemand) ce sont les lois allemandes qui s’appliquaient à eux, et non les lois françaises. Une de ces lois, parmi les plus cyniques, était celle du sippenhaft, la responsabilité du clan : la famille était considérée comme responsable des actes criminels d’un parent. Sachant que les Nazis avaient une notion très particulière de ce qu’était un crime, les familles pouvaient être facilement déportées et leurs biens confisqués et détruits. Cela pouvait arriver si par exemple un fils s’enfuyait en Suisse pour éviter l’incorporation de force.

L’incorporation de force des Malgrés-nous

Il s’agit probablement du traumatisme le plus fort et le plus durable pour l’Alsace-Moselle. Commençant à manquer de soldats, l’Allemagne a incorporé dans son armée par la force des habitants de différents territoires conquis et considérés comme allemands. 130,000 habitants de la région sont ainsi incorporés dans l’armée allemande, et généralement envoyés sur le front de l’est. Les adolescents sont eux incorporés dans les jeunesses hitlériennes, organisation paramilitaire de jeunes, et ils sont notamment envoyés en Yougoslavie combattre les partisans. Refuser l’incorporation faisait peser le risque de la déportation à toute sa famille en représailles.

En Alsace il y a souvent plus de morts en 39-45 qu’en 14-18. Ici le village de Dettwiller (67)

De plus, les Alsaciens-Mosellans étant considérés de loyauté douteuse vis-à-vis du Reich, une partie d’entre eux sont versés dans les waffen-ss afin d’être plus sévèrement encadrés. Cette présence au sein de ces unités criminelles créera un certain nombre de controverses après-guerre. Parmi ces incorporés de force les pertes sont sévères, du fait de la déconfiture allemande à l’est et des conditions de détention inhumaines dans les goulags soviétiques : 40.000 morts, 30.000 blessés, 10.000 invalides. Ceci explique que l’Alsace-Moselle est la région française ayant souffert du plus grand nombre de pertes militaires parmi ses habitants, et que celles ci sont même souvent supérieures en 39-45 qu’en 14-18, contrairement aux autres départements français.

À noter que les soviétiques et les Français Libres avaient connaissance de l’incorporation de force, les Soviétiques les invitant en langue française à déserter. Une fois capturés les Malgrés-nous étaient regroupés entre eux dans des camps à part, notamment celui de Tambov. Mais les prisonniers étaient traités tout aussi cruellement que les autres allemands, les camps étant des mouroirs, et les tentatives pour les faire libérer par la France Libre étaient assez maigres. Le dernier Malgré-nous a été libéré par les Soviétiques en 1955.

Des combats longs et nombreux pour le front français

Les Allemands ont considéré la bataille de Metz comme une victoire défensive, les soldats recevant une bande distinctive

La Seconde Guerre Mondiale est un conflit de grands affrontements. Mais la France a heureusement été relativement épargnée, les Alliés étant rapidement vaincus en 40, et les Allemands étant à leur tour rapidement refoulés après le Débarquement avec des destructions localisées à quelques secteurs infortunés.

Du coté de l’Alsace-Moselle, la ligne Maginot connaît quelques combats en 1940 mais sans grandes destructions. Au contraire en 1944-45, 3 grandes batailles se déroulent sur ce territoire en entraînant leur lot de ravages. La bataille de Metz tout d’abord où l’armée américaine de Paton s’enlise dans une guerre de position pendant 3 mois et demi, de fin août à mi décembre autour de la citadelle de Metz. Puis l’opération Nordwind, qui est la dernière contre-attaque allemande à l’ouest et qui a lieu durant tout le mois de janvier 1945 et qui leur permet de reconquérir une partie de l’Alsace du nord. Un épisode de la série Bands of brothers se déroule durant ces combats, dans la ville de Haguenau. Enfin la bataille de la poche de Colmar, de mi décembre 44 à début février 45 est là aussi une sanglante bataille de position, ayant pour but de reconquérir la dernière portion de territoire occupé. Des scènes du film Indigènes traite de cet épisode.

Chars de la 2ème DB avançant vers Strasbourg

Épargnée par les combats en 14-18, l’Alsace-Moselle est donc tout de même un champ de bataille de septembre 44 à début février 45. Pourtant, comme pour les autres territoires français la Libération avait été rapide pour une partie importante de la région, avec notamment les blindés de Leclerc libérant Strasbourg et tout le Bas Rhin en quelques heures en balayant tout sur leur passage. Mais considérant ce territoire comme étant le leur, les Allemands s’accrochaient, opposaient une résistance tenace et contre-attaquaient.

Les accusations d’après-guerre

Tract accusant nommément les Malgrés-nous en 1953

Les manipulations politiques d’après-guerre ont empêché ces blessures de cicatriser, en les laissant au contraire ouvertes et douloureuses. Le Parti Communiste Français a joué un rôle de pyromane, en usant de la méthode stalinienne de l’accusation à outrance des sociaux-traitres pour cacher ses propres erreurs et les crimes de guerre de l’URSS. L’alliance de 1939 entre Staline et Hitler était en effet gênante pour le grand vainqueur politique de la Libération qui prétendait être le parti des résistants au nazisme. Les témoignages de la cruauté du système concentrationnaire soviétique par les premiers prisonniers revenant des goulags était une menace pour l’idéal soviétique défendu par le PCF. Les députés communistes profitèrent donc de l’émotion suscitée par les massacres nazis pour faire voter une loi permettant d’accuser tout membre d’une organisation reconnue comme responsable de crimes contre l’Humanité, un peu l’équivalent de la loi allemande de responsabilité du clan évoquée précédemment. Cette loi fut ensuite utilisée pour le massacre d’Oradour sur Glane où des Alsaciens-Mosellans furent accusés de ce crime au Procès de Bordeaux en 1953. Que ces hommes étaient incorporés de force et qu’ils n’étaient pas présent sur les lieux pour la plupart ne comptait donc pas. Pas plus que le fait que parmi les victimes du massacre il y avait plusieurs évacués de 1939, ni que les officiers ss donneurs d’ordre étaient absents.

Affiche d’indignation de 1953

Dans un procès fantoche digne de l’affaire Dreyfus, l’image de traître de l’Alsacien était ainsi ressortie du carton et abondamment agitée par des communistes souhaitant détourner l’attention et se donner bonne conscience. Cette accusation injuste de complicité du nazisme a donc empêché la France de reconnaître son abandon de 1940 et donc sa responsabilité dans les malheurs de l’Alsace-Moselle durant la Seconde Guerre Mondiale. L’amnistie votée en urgence par le Parlement n’a pas supprimé le jugement condamnant les accusés aux travaux forcés, juste la peine. La région a du ensuite se reconstruire et pleurer ses morts et ses disparus, seule et en silence. Absente de l’histoire officielle, ses souffrances ignorées des autres régions, et avec la suspicion de la trahison planant sur elle. En 2013, 60 ans après le procès de Bordeaux, le Président de la République François Hollande a reconnu à Oradour sur Glane le drame des Malgré-nous.

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