Les grands mythes de la Première Guerre Mondiale

Le premier conflit mondial a profondément marqué les esprits, notamment à cause de sa violence industrielle. S’il a été un affrontement purement militaire et impérialiste, sans idéologie, il a été massivement réutilisé par la suite au service des idéologies du vingtième siècle. Le pacifisme des années 20-30, le nazisme, les autoritarismes et nationalismes divers se nourrissant de la dénonciation du traité de Versailles, l’antimilitarisme et l’anticolonialisme des années 60-70. Tous ont avec régularité puisé leurs sources sur des mythes infondés ou déformés de 14-18. Une partie des informations de cet article provient du numéro d’avril 2014 du magazine Guerre et Histoire qui revient amplement sur une cinquantaine de mythes de la Grande Guerre.

Les taxis sont arrivés trop tard sur la Marne

taxis
Les « taxis de la Marne »

L’armée française réussit à se rétablir sur la Marne grâce à sa mobilité, permise par la réquisition de tout ce qui roule et de l’usage massif du chemin de fer dès août 1914. Ce phénomène réel est resté dans les mémoires avec l’épisode des taxis. En réalité les soldats qui attaquent le saillant allemand lors de la bataille de la Marne ont été transporté principalement par bus. Les troupes transportées par taxis depuis Paris sont arrivées à la fin de la bataille, dans des secteurs calmes, ils n’ont donc pas participé à la bataille. Mais cette myriade de taxis chargés de soldats a été vu par toute la population sur le chemin du front, depuis le centre-ville de la capitale. Cette image était donc forte et les taxis rouges sont devenus pour le grand public l’image même des sauveurs de Paris.

Les fusillés, situations diverses et complexes

Exécution d’un espion

L’idée même de fusiller pour l’exemple dans une démocratie occidentale est marginale, et ne doit pas être généralisé. Quel exemple en effet est donné si ce n’est l’injustice et la barbarie qui sont sensées être les attributs de l’ennemi ? Le rejet de cette pratique dans nos sociétés est si massif qu’il ne peut être utilisé qu’exceptionnellement, en cas de crise grave ou de vide juridique. Par exemple l’armée française de l’été 1914 subit un moment de non-droit dû au désordre provoqué par la poussée allemande sur Paris, entraînant de nombreuses exécutions. Mais dès 1915 les autorités civiles reprennent le dessus et le contrôle sur l’armée et ce type de pratique diminue du fait du retour de procédures judiciaires plus longues et complexes, et donc plus favorables à la défense. Toutefois les condamnations arbitraires ne cessent pas entièrement, à cause de la démoralisation provoquée par la guerre de tranchée. Le cas de 1917 est révélateur, puisqu’en situation de crise profonde due aux nombreuses mutineries, les peines de mort ont massivement été commuées, quelque malchanceux y passant toutefois pour sauver la règle qui sinon serait devenue désuète. Il ne faut pas oublier non plus qu’une partie des fusillés présents dans les statistiques sont des espions et des criminels. Cela explique principalement les réticences aux réhabilitations collectives.

La principale difficulté est de définir ce qu’est un fusillé pour l’exemple. Deux pratiques coexistent en effet. Les soldats fusillés par un peloton d’exécution, et ceux abattus sans jugement sur le front, parfois dans le feu de l’action. Ce deuxième cas de figure est probablement le plus fréquent, et il est difficile de le quantifier puisque généralement l’officier responsable de l’exécution inscrivait le soldat qu’il avait abattu comme étant mort au combat pour éviter toute enquête ultérieure sur ce crime. Il y a donc derrière cette notion de fusillé pour l’exemple une multitude de phénomènes qui s’imbriquent, et vouloir en donner une vision unique cache généralement une volonté de propagande idéologique.

La mémoire collective se souvient donc de cet épisode à cause des cas injustes avérés et devenus célèbres, dont les soldats fusillés ont généralement rapidement été réintégrés. Mais par simplisme cela a été extrapolés à l’ensemble du conflit. Ce phénomène a toutefois ensuite massivement existé au sein de l’armée soviétique stalinienne. La punition pour l’exemple concernait les soldats qui se repliaient, mais aussi les anciens prisonniers qui en 1945 sont passés directement des stalags aux goulags puisque leur reddition était considéré comme une trahison, mais aussi des combattants étrangers comme des brigadistes internationaux exécutés en Espagne par des officiers soviétiques ou des agents du NKVD, pour traîtrise « trotsko-fasciste ». Par extension les grandes purges contre les officiers de l’armée rouge en 1936 sont des exécutions massives pour l’exemple, qui permettent de maintenir la terreur et l’obéissance aveugle des survivants. Le nazisme agonisant a également massivement exécuté au sein de sa population lors des derniers mois de la guerre. Cette généralisation de l’exécution pour l’exemple est donc uniquement envisageable dans une dictature.

L’état-major, ni incompétent ni sanguinaire

Le général Joffre

L’état major français n’était ni incompétent ni assoiffé du sang des soldats. L’idée de départ était de finir la guerre vite pour éviter un carnage (du fait de la prise de conscience du pouvoir extrêmement meurtrier des nouvelles armes), d’où une logique offensive initiale pour tenter de provoquer la décision. Les pertes effroyables de 1914 viennent principalement des carences lourdes du service de santé qui est très vite dépassé, le nombre de blessés par éclats d’obus ayant été dramatiquement sous-estimé. Tous les officiers avaient des fils, des petits-fils, des neveux, des parents, des voisins, des connaissances, au front, comment croire qu’ils pouvaient les envoyer à la mort sereinement ? L’armée a du en urgence rappeler des officiers retraités à l’été 1914 pour encadrer les régiments de mobilisés, mais un limogeage massif (l’expression vient de là) a rapidement eu lieu pour se débarrasser des éléments effectivement incompétents. L‘armée a également appris et gagné en compétence au cours du conflit : service de santé efficace opérationnel dès 1915, adoption rapide et généralisée du casque contre les éclats d’obus, généralisation du masque à gaz, nouveaux uniformes plus adaptés aux tranchées, utilisation de l’aviation, de l’artillerie connectée en direct à l’avancée des soldats pour les protéger, chars qui deviennent la pointe de la lance et ouvrent la route aux fantassins. Il est facile de juger après coup, mais devant les défis et les évolutions considérables provoqués par cette guerre, l’armée et le pouvoir politique ont tenté ce qu’ils ont pu pour préserver la vie des soldats-citoyens. Le fait qu’en 1918 la doctrine française devient un modèle et est copiée par l’ensemble des autres armées dans le monde tend également à prouver ces capacités d’apprentissage et d’innovations.

Les grandes offensives, conséquences militaires des alliances politiques

Les offensives françaises de 1915 et 1917 passent pour inutiles alors qu’elles étaient déterminantes si on analyse le contexte global. L’objectif était en effet de soulager l’allié russe qui était mis en difficulté. Les fronts est et ouest étaient en effet connectés entre les alliés de l’Entente. L’idée étant de se porter mutuellement assistance pour ne pas laisser les Allemands concentrer leurs forces et éliminer Français et Russes sereinement les uns à la suite des autres. Au contraire il fallait leur imposer une répartition de leurs forces avec une pression constante sur les deux fronts. Les Russes ont ainsi attaqué le plus vite possible en 1914 pour soulager les Français, ce qui a permis un début de crainte allemand et le transfert de 200,000 hommes de Belgique en Prusse Orientale, et ainsi d’éviter l’effondrement français et le rétablissement sur la Marne. Les Français rendent la pareille en 1915 pour soulager une armée russe en grande difficulté. Sans les offensives russes de 1916 Verdun risquait de tomber et le front occidental aurait pu être fatalement enfoncé en son centre. En 1917 les alliés veulent sauver le nouveau régime démocrate russe et attaquent pour lui donner le temps de se réorganiser, cette fois ci en vain.

Il faut pour comprendre regarder au delà du petit champ de bataille local et envisager le conflit dans sa globalité. L’intérêt n’était pas de gagner du terrain, mais de « fixer » des troupes ennemies. Ces notions stratégiques sont toutefois difficiles à comprendre et à accepter pour les soldats engagés dans ces offensives aux gains territoriaux dérisoires. Elles ont toutefois participé à l’essoufflement allemand, puisque chacune des grandes batailles de tranchées a provoqué des pertes sensiblement équivalentes dans les deux camps. Une victoire stratégique donc pour l’Entente aux capacités en hommes et en matériels quasiment illimitées, mais à un coût humain très lourd pour la population française métropolitaine.

Bataille de la Somme

Il peut être intéressant de noter que la bataille de la Somme a été celle correspondant le plus au mythe d’incompétence de l’état major et d’inutilité en concentrant de nombreuses aberrations. Elle concernait essentiellement les troupes britanniques, mais l’onde de choc de ce carnage a servi ensuite de modèle des ces grandes attaques meurtrières sans gain territorial pour l’ensemble du front occidental et a fait écho aux offensives Nivelle de 1917 très mal vécues par les soldats français. La composition des troupes anglaises, volontaires et territorialisées a participé à l’indignation massive et populaire outre-Manche, conduisant l’armée britannique a de profondes réformes. Ce traumatisme est toujours en vigueur, comme le prouve la survivance du coquelicot porté le jour du souvenir dans le Commonwealth, symbole notamment du massacre de la Somme.

Les troupes coloniales, pas plus exposées que les autres

Un mythe tenace concerne les troupes coloniales. L’état-major aurait selon cette légende envoyé en première ligne les troupes de couleur pour préserver le sang blanc. Ce mythe s’appuie sur deux éléments : le livre du général Mangin, la Force noire, qui préconise un recours accru aux troupes de l’empire, et le discours du député du Sénégal Blaise Diagne en comité secret de la Chambre en 1917. Cette légende a été construite après guerre, notamment lors de l’apparition d’un fort mouvement anti-colonialiste.

Troupes marocaines en une d’un journal

Lorsque l‘on regarde de plus près les chiffres, on s’aperçoit que la France a moins utilisé les colonies durant 14-18 que l’Angleterre (450.000 soldats pour l’ensemble des colonies françaises contre 1,4 millions rien que pour l’Inde britannique). De plus, seule une minorité d’entre eux a combattu en Europe puisque la majorité des soldats coloniaux était affectés au théâtre africain. Cela s’explique par plusieurs raisons. Au début du vingtième siècle les colonies françaises restent peu peuplées, l’explosion démographique n’ayant pas encore eu lieu. Les propriétaire terriens sont donc réticents à laisser partir leur rare main-d’œuvre qui risque de revenir estropiée et donc de nuire à leur rentabilité. Si l’Inde est déjà un réservoir inépuisable d’homme, l’Afrique ne l’est pas en 1914. À cette limite « technique » s’ajoute surtout le fait que la société française de cette époque est très racialiste. Cette théorie alors très en vogue scientifiquement, entend différencier et hiérarchiser les groupes humains selon des caractéristiques physiques (couleur de peau, taille du nez, des oreilles, du crane, etc). Naissent ainsi différentes races, dont les races guerrières. Ces races guerrières minoritaires ont été valorisées et utilisées au sein des différentes armée. Mais en règle général cela conduit à dévaluer la valeur militaire des « indigènes pacifiques », et à leur préférer des métropolitains, aux capacités combatives jugées « naturellement » supérieures. Cela peut par extension conduire les état-majors a estimer que leurs soldats sont logiquement supérieurs aux soldat ennemis « naturellement » barbares (les caricatures et la propagande anti-allemandes étant à ce titre très significatives), et par extension à considérer que les soldats de certains régions sont moins combatifs ou plus rebelles (les méridionaux étant ainsi dépréciés en 14-18, par opposition aux habitants du nord-est qui étaient loués). Les penseurs de l’époque considéraient donc que mobiliser massivement des coloniaux était un risque important du fait de leur valeur combative jugée inférieure. Le livre de Mangin n’a donc pas été suivi, mais au contraire moqué, et il n’a donc eu aucun impact.

Blaise Diagne

De la même manière, la pensée de Blaise Diagne a été totalement détournée. Ce fervent assimilationniste souhaitait au contraire un recours accru et massif aux soldats africains, dans l’idée que le sans versé permettrait d’acheter l’égalité civique. Ce premier député noir africain voulait étendre au reste de l’empire la situation qui était de mise dans les Quatre communes du Sénégal, où les habitants disposaient de droits politiques. Son discours à la chambre, qui a été utilisé par la suite à tort comme argument, entendait dénoncer les lourdes pertes lors des grandes offensives de la guerre des tranchées. Tout député aurait pu tenir ce discours, puisque l’ensemble des troupes françaises était confronté à ces attaques dans le no man’s land sous le feu des canons et des mitrailleuses. Quand il dénonçait le sacrifice des Sénégalais c’était dans cet esprit de demander l’arrêt de ce type d’attaques, et non dans l’idée de dénoncer l’emploi de troupes coloniales pour préserver les troupes blanches. Il continuera ainsi jusqu’en 1918 à préconiser d’envoyer plus de troupes coloniales sur le front. Il peut être intéressant de noter que cette légende du sacrifice ciblé et voulu existe pour d’autres troupes que les coloniaux. Ainsi les Bretons, les Corses, les Basques et d’autres groupes régionaux estiment avoir été envoyés délibérément en première ligne pour préserver les habitants d’autres régions. L’analyse des chiffres tend à prouver que les taux de perte sont à peu près identiques pour l’ensemble des divisions de l’armée française du front occidental, quel que soit leur origine géographique.

Il y a également le cas des troupes d’élite, gardées en réserve pour les moments décisifs et les situations les plus dangereuses. On peut notamment penser à la brigade marocaine qui a subi de très lourdes pertes lors de la bataille de la Marne, mais dont l’action a été décisive et unanimement reconnue et récompensée. Par la suite, au cours de la guerre des tranchées les troupes africaines étaient habituellement mélangées avec des troupes métropolitaines au sein de régiments mixtes, empêchant de fait d’exposer davantage les uns des autres. 

Verdun et Lénine, même tactique pour les Allemands : obtenir une paix séparée

Après la boucherie de Verdun, l’état-major allemand tenta de se justifier en inventant le mythe de la volonté de « saigner à blanc » l’armée française. Le but initial était en réalité de garder l’initiative en obligeant les alliés à combattre à Verdun et ainsi à abandonner leur attaque prévue sur le Somme. En prouvant l’efficacité de la défense allemande, et ainsi le coût pour la France de regagner le terrain perdu, l’Allemagne espérait briser la Triple Entente. La Russie avait survécu à 1915, la cible de 1916 était donc la France qui devait être poussé à demander une paix séparée après Verdun.

Paix de Brest Litovsk

L’opiniâtreté française et la victoire morale de Pétain à Verdun, ainsi que la meurtrière bataille de la Somme rendent la paix impossible à l’ouest, devant la volonté manifeste des démocraties à poursuivre le conflit malgré l’hécatombe. L’Allemagne se retourne donc vers l’est pour sortir la Russie du conflit. Et devant l’échec de l’option militaire en 1915, elle utilise l’option politique, en finançant et rapatriant Lénine de Suisse. Le résultat est là, grâce à l’argent allemand Lénine peut mettre en œuvre sa stratégie et créer un puissant parti bolchevique qui incarne une réelle nuisance au gouvernement Kerenski issu de la Révolution de février. Après la Révolution d’octobre, En mars 1918, l’URSS signe la paix à Brest-Litovsk avec l’Allemagne. Cette dernière gagne dans l’affaire un million de kilomètres carrés et 94 tonnes d’or, récupérant ainsi largement sa mise sur Lénine. Toutefois cette paix arrive trop tard, empêchant les troupes allemandes d’être envoyées en France dans de bonnes conditions de récupération pour l’attaque du printemps 1918. De même le territoire gagné sur la Russie nécessite d’être contrôlé par des troupes d’occupation. La cavalerie reste donc à l’est et ne peut être utilisée pour exploiter les percées allemandes en France qui peuvent être comblées par des contre-attaques alliées soutenues par des chars, ces matériels faisant cruellement défaut aux Allemands.

Les États-Unis, insignifiants sur terre, décisifs sur mer, pour le moral et l’approvisionnement

chars français

On se souvient de la phrase de Pétain, « j’attends les chars et les Américains ». Les mutineries de 1917 et la prise de pouvoir des Bolcheviques en Russie conduisent l’état-major français à cesser les offensives et à attendre un renforcement pour mener l’offensive victorieuse. À partir de l’été 1918 l’armée française a les moyens de ses ambitions et peut mener la stratégie du martellement : une succession d’offensives limitées sur l’ensemble du front pour éparpiller les défenses allemandes et les contraindre à de coûteuses contre-offensives pour combler les brèches, ou à des retraites en abandonnant du terrain, du matériel et des prisonniers. L’armée française dispose à ce moment de la guerre de la supériorité au niveau de la mobilité, avec des milliers de camions et 2000 chars d’assaut présents sur le front et peut ainsi prendre l’initiative face aux statiques Allemands qui se déplacent principalement à pied hors des rocades ferroviaires. En 1918 la supériorité alliée est également manifeste dans les airs. Les milliers de très bons chasseurs français et anglais sont trop nombreux pour une chasse allemande souffrant chaque jour davantage du blocus et des pénuries en pétrole, caoutchouc et pièces de rechanges. Sur le front, les Français et les Anglais ont donc tous les moyens nécessaires pour reprendre victorieusement les offensives après avoir su efficacement encaisser puis enrayer les attaques allemandes de 1918.

Les États-Unis qui sont entrés en guerre au début de 1917 ont pris du retard dans la formation et l’acheminement de leur contingent. Leur armée ne comptait en effet que 200,000 hommes en 1917. Sans réelle industrie de guerre, les Américains doivent s’équiper à l’étranger, notamment en armes françaises et « emprunter » des spécialistes tricolores comme des conducteurs de chars et des artilleurs. De plus ils refusent de s‘intégrer dans les armées alliées au sein du commandement unique en vigueur, exigeant l’autonomie dans des unités exclusivement sous leur commandement. Cette situation tend donc davantage à affaiblir qu’à renforcer la capacité militaire alliée. Le premier engagement massif américain a d’ailleurs lieu tardivement, le 12 septembre 1918 à Saint-Mihiel pour une opération de faible importance. Le 11 novembre 1918, l’US army compte en théorie 42 divisions et 1,8 millions d’hommes, soit la moitié de l’armée française. L’apport US aurait donc pu être décisif sur terre lors de l’offensive finale prévue initialement en 1919 avant l’effondrement allemand de l’automne 1918.

femmes dans une usine de munitions
Camions sur la Voie sacrée vers Verdun

Les États-Unis ont surtout permis aux alliés d’être approvisionnés durant tout le conflit en nourriture et en matières premières nécessaires à l’effort de guerre. À l’abondance alliée répondait par opposition la pénurie et la famine allemande1 causées par le blocus allié. La participation de la marine américaine aux convois dans l’Atlantique à partir de l’été 1917 et le poids de son inépuisable réservoir humain et matériel ont donc permis de maintenir les démocraties en course lors des périodes difficiles, puis de rendre la victoire impossible pour l’Allemagne. Les pertes alliées étaient en effet massivement compensées par l’arrivée des deux millions de soldats américains sur le sol français. De plus, la mobilité française a été en partie permise par des importations de camions américains, les constructeurs nationaux comme Renault s’étant en partie reconvertis pour produire des blindés.

Les blessures : essentiellement des éclats obus, très peu de coups de baïonnettes

Dans n’importe quel film ou série sur 14-18, on voit des soldats charger baïonnette au canon et transpercer des ennemis. Les études statistiques sur les types de blessures montrent que ce type de combat était pourtant extrêmement rare. Pendant la bataille de Verdun par exemple, 1% des blessures sont causées par armes blanches, contre 86% par éclats d’obus. Ceci s’explique par le rôle central de l’artillerie utilisée de façon systématique et massive, et par l’efficacité accrue des canons et des obus. De plus la difficulté était de traverser le no man’s land sous le feu ennemi, et une fois le contact établi la défense était suicidaire face aux vagues d’assaut numériquement supérieures. Le contact réalisé, les défenseurs se rendaient donc habituellement sans opposer plus de résistance, refusant ainsi le plus souvent le corps à corps. Au niveau des blessures par balles, les mitrailleuses qui tirent en aveugle sur des zones sont les plus efficaces, alors que les fusils qui tirent précisément sur un ennemi choisi ne causaient que des pertes marginales. Les pertes de 14-18 sont donc en grande majorité les conséquences d’une utilisation en aveugle et industrielle des armes nouvelles, déshumanisant d’autant l’affrontement en rendant rare la confrontation physique et visuelle avec l’ennemi.

Les pantalons rouges, pas plus visibles que les bleus

Soldats français en situation de combat

Un mythe tenace concerne la couleur des pantalons. Un article précédent démontait amplement et plus précisément cette légende. Pour résumer les attaques massives, les armes aveugles (obus, mitrailleuses), la boue et la poussière salissant le rouge et le rendant rapidement brun-grisâtre, la petite taille des soldats et les capotes bleues descendant à mi-cuisse avec des bottes noires aux tibias, les herbes hautes d’août 1914, sont autant d’éléments qui font que la couleur des pantalons n’a eu que peu d’incidence sur la mortalité des soldats, comme le prouve d’ailleurs les taux de mortalité semblables dans les différentes armées malgré des pantalons de couleur plus terne.

Les trêves sur le front, la norme plus que l’exception

Discussion pour une trêve dans le film Joyeux Noël

Les fraternisations de Noël 1914, après avoir été cachées sont désormais bien connues du grand public, mais elles sont présentées comme une exception. En réalité, sur les parties calmes du front les belligérants s’entendaient habituellement pour une coexistence pacifique. Ils évitaient ainsi tout harcèlement (mines, snipers, bombardements impromptus) pour maintenir le front calme. Les deux camps communiquaient et commerçaient, en dressant notamment des chiens chargé de transporter les messages et les marchandises à travers le no man’s land. Cela s’explique facilement, la vie dans les tranchées était monotone et pénible. Le froid, l’humidité, les rats, le rationnement étaient de mise des deux cotés, rapprochant d’autant les soldats aux conditions de vie précaires similaires. La majorité du front était ainsi composé de zones calmes, les grandes attaques se concentrant sur des territoires limités. Les troupes se transmettaient oralement lors des relèves les consignes de la trêve tacite en vigueur. Toute infraction à ce « code de bonne conduite » provoquait d’ailleurs de féroces représailles du camp adverse qui reprenait le combat avec une férocité accrue due au scandale de l’infraction à ces règles de survie réciproque précédemment en vigueur. Il s’agissait donc plus de cohabitation pacifiée que de fraternisations, et cela ne posait donc pas de problème lors des offensives. Le contexte étant différent, l’état de trêve ayant de fait cessé, l’ennemi redevenait l’ennemi et il pouvait être attaqué et tué sans remord et sans contrevenir aux règles morales de la civilisation.

L’armée allemande a été vaincue sur le champ de bataille

Pour sauver la face et faire oublier ses erreurs stratégiques, le maréchal Hindenburg invente dès la fin de la guerre le mythe de l’armée allemande invaincue et celui du « coup de poignard dans le dos ». L’idée est de transférer la responsabilité du désastre vers les civils, les républicains et les sociaux-démocrates qui gouvernent le pays après la guerre et qui ont été contraints par le blocus d’accepter l’inacceptable paix de Versailles, mais également sur les communistes qui ont tenté de prendre le pouvoir en Allemagne par la force après l’armistice. Cette manœuvre permet au maréchal de préserver son mythe personnel de héros national, ainsi que d’épargner l’aristocratie militaire prussienne qui a pourtant poussé à la guerre, et imposée sa dictature en 1914, puis à conduit une désastreuse politique jusqu’au-boutiste.

La cavalerie française transperce le front sud

L’échec des offensives allemandes du printemps 1918 laisse l’armée impériale aux abois. Ses meilleures troupes y ont été sacrifiées, elle ne dispose plus de réserves pour faire face à la succession d’offensives alliées qui enfoncent de toutes part le front grâce à l’utilisation massive des chars en coordination avec une artillerie mobile et concentrée. La troupe allemande souffre également de la famine et de difficultés logistiques liées au blocus. Des milliers de soldats se rendent sans combattre et de grandes quantités de matériels lourds doivent être abandonnés dans la retraite. L’Allemagne est militairement à bout dès la fin septembre 1918. Sur le plan intérieur, la population veut la paix et un massif mouvement de grève menace l’industrie de guerre dès le début de 1918. L’économie allemande est exsangue, la population meurt de faim (au sens propre) et l’inflation est galopante. À partir de septembre 1918, grâce à la percée française en Bulgarie et à une exploitation en profondeur par la cavalerie, les différents alliés de l’Allemagne sont successivement vaincus et demandent l’armistice, rendant l’épilogue inéluctable.

Révolutionnaires à Berlin

Lorsqu’elle demande l’armistice, l’Allemagne est donc vaincue à tous les niveaux, militairement, diplomatiquement, économiquement, socialement, moralement. Elle espère pouvoir obtenir de meilleures conditions en demandant l’armistice alors qu’elle occupe encore la majorité de la Belgique, plutôt que lorsque les Alliés auraient franchi sa frontière et occupé ses villes. Ces espoirs ont vite été déçus devant l’intransigeance française.

Askaris des troupes coloniales allemandes

Si l’Allemagne est vaincue en Europe occidentale, une armée allemande finit pourtant la guerre invaincue. Il s’agit de l’armée d’Afrique de l’Est du général Paul von Lettow-Vorbeck qui a été un véritable poison pour les Alliés leur imposant des dépenses considérables. Défendant de façon mobile la colonie de Tanzanie, il réussit avec ses 20.000 combattants en grande majorité africains, à ravager les colonies voisines et à vivre et s’équiper sur ses ennemis. Il a remporté un incontestable succès tactique. Les Anglais, Portugais et Belges doivent mobiliser des moyens extraordinaires, 400.000 soldats et 600.000 porteurs pour faire face à la menace, et n’obtiennent sa reddition qu’une fois l’armistice signé en Europe.

1Les conséquences de cette famine généralisée pouvaient être imprévues, comme l’arrêt des offensives quand les soldats tombaient sur des dépôts de nourriture dans les tranchées capturées. Les troupiers allemands préféraient alors faire un bon repas plutôt que de poursuivre et de valoriser leurs percées, permettant ainsi à la défense de se réorganiser. En Allemagne même, outre les 750,000 morts de malnutrition, nombreux sont les civils qui sont en 1918 squelettiques et à l’image des rescapés des camps de 1945.

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